Marque figurative : de couleur, de forme, de position… (CA Paris 15 mai 2018, n°15/11131)

Les possibilités de dépôts de marques prévues par le titre VII du Code de la propriété intellectuelle (CPI) sont multiples, allant de la simple marque verbale à la marque figurative, en passant par la marque semi-figurative ou encore la marque spécifiquement sonore...

Un récent arrêt de la Cour d’appel de Paris du 15 mai 2018 (15/11131) est l’occasion de rappeler les principales conditions de validité d’une marque figurative, en l’espèce constituée par l’apposition de la couleur rouge (avec un code Pantone précis) sur la semelle extérieure d’une chaussure à talon haut, telle qu’exploitée par la Société Louboutin, mais remise en cause à titre reconventionnel par une société concurrente assignée en contrefaçon.

En premier lieu la marque doit pouvoir être concrètement identifiable et ne pas se limiter à une simple idée ; la frontière en la matière est souvent ténue, comme en l’espèce où la défenderesse invoquait l’article L. 711-1 du CPI en estimant que le dépôt n’était pas suffisamment précis pour que la marque concernée soit valable (simple idée de colorer une semelle en rouge selon elle), raisonnement qui n’a toutefois pas été suivi par la Cour d’appel (relevant au contraire « la clarté, la précision, l’intelligibilité, l’objectivité, la stabilité de la représentation graphique considérée »).

En second lieu, et plus classiquement, c’est le caractère distinctif de la marque que le défendeur a tenté de remettre en cause sur le fondement de l’article suivant L. 711-2 du CPI, en estimant que cette apposition de couleur rouge avait une valeur fonctionnelle pour les produits concernés et était donc potentiellement nécessaire pour les autres acteurs du marché, argument qui n’a toutefois pas non plus été retenu par la Cour, « d’autres choix étant tout aussi possibles » selon cette dernière.

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Cette décision permet donc de rappeler, en synthèse, que le dépôt d’une marque figurative est possible sous de nombreuses formes à condition d’être suffisamment précis en sa représentation d’une part, et suffisamment distinct du produit lui-même d’autre part.

Julie Gringore

https://www.doctrine.fr/d/CA/Paris/2018/INPIM20180214


INDEMNITES DE TRANSFERT DES SPORTIFS PROFESSIONNELS ET LICENCIEMENT ECONOMIQUE

Deux arrêts récemment rendus par la Cour d’Appel d’ANGERS le 12 juillet 2018, statuant sur renvoi de cassation, éclairent le traitement qu’il convient de faire des indemnités de transfert des sportifs professionnels dans le cadre d’éventuelles difficultés économiques de leurs employeurs.

Ces décisions apportent également des précisions quant aux conséquences d’une potentielle baisse des droits télévisés en matière de licenciement économique, et en ce qui concerne le périmètre d’appréciation des difficultés économiques et de l’obligation de reclassement dans les clubs sportifs professionnels.

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Lors de l’intersaison 2012, le club de football FC LORIENT a procédé au licenciement économique de plusieurs salariés.

Les motifs invoqués tenaient aux difficultés économiques rencontrées par le club, notamment en raison d’une prévisible baisse des droits TV.

Par arrêt en date du 4 novembre 2015, la Cour d’Appel de RENNES estimait que les difficultés économiques étaient établies et les licenciements économiques bien fondés.

Par arrêt du 14 juin 2017, la Cour de Cassation a cassé et annulé les arrêts de la Cour d’Appel en lui reprochant d’avoir statué sur le fondement du licenciement en raison de difficultés économiques, alors que la lettre de licenciement invoquait des licenciements en raison de la nécessité de sauvegarder la compétitivité de l’entreprise.

Les débats demeuraient donc ouverts devant la Cour d’Appel de renvoi quant au point de savoir si les éléments factuels débattus pouvaient justifier les licenciements économiques prononcés en raison de la nécessité de sauvegarder la compétitivité du club sportif.

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Le premier argument soutenu par l’employeur tenait au fait que son « résultat d’exploitation » était depuis plusieurs années constamment déficitaire, ce qui établissait selon lui les difficultés économiques nécessitant la mise en place de mesures permettant de sauvegarder sa compétitivité, dont les licenciements économiques étaient l’aboutissement ultime.

Pour le club les indemnités de mutation liées au transfert de certains joueurs professionnels à la fin de chaque saison sportive étaient comptabilisées en « résultats exceptionnels » dans les comptes du club,  ce qui établissait l’existence d’un déficit structurel, justifiant la mise en place des mesures de sauvegarde de compétitivité.

En synthèse le club soutenait qu’il ne pouvait pas, sans s’appauvrir, être contraint de vendre chaque année des joueurs pour équilibrer son budget.

La Cour d’Appel d’Angers ne suit pas ce raisonnement et estime au contraire que :« ces ventes ne constituaient pas un appauvrissement du club qui se séparait de ces joueurs en réalisant une plus-value, dont la valeur financière est intégrée par la DNCG dans les comptes de résultat des clubs professionnels qu’elle contrôle et, selon les bilans comptables dans le résultat net en tant que rentrée financière ».

Ainsi, le fait qu’une fois les transferts comptabilisés, le club dispose de résultats positifs, suffisait à établir l’absence de difficultés financières, et ce même si chaque année le montant des transferts opérés n’était pas certain.

Ce faisant la Cour d’Appel d’ANGERS s’aligne sur la position de la DNCG qui -dès lors que ces rentrées sont certaines et non hypothétiques- admet de manière constante que le fruit des opérations de mutation a vocation à être intégré dans les comptes, pour apprécier si l’équilibre budgétaire du club sportif est, ou non, atteint.

Admettre le contraire reviendrait d’ailleurs à permettre de manière constante aux clubs de procéder à des licenciements économiques fondés sur ce motif, puisque les rapports de la DNCG établissent que les clubs de football français sont structurellement déficitaires pour ce qui touche au résultat d’exploitation (moins 331 000 000 € en 2011/2012 et moins 383 000 000 € en 2015/2016) ; alors qu’à l’inverse les résultats des opérations de mutation sont positifs :(+ 180 000 000 € en 2011/2012 et + 429 000 000 € en 2015/2016).

On trouve d’ailleurs ici un alignement, en matière de droit du travail, sur la position récemment prise par le Conseil d’Etat à l’occasion d’un litige portant sur le point de savoir si les indemnités de cession des contrats de joueur participaient à l’activité normale et habituelle du club, ou au contraire revêtait un caractère accessoire, de sorte qu’elles n’avaient pas vocation à être prises en compte dans le calcul de la valeur rajoutée pour la détermination de la cotisation minimale de taxe professionnelle.

Dans son arrêt du 6 décembre 2017 (n° 401533) le Conseil d’Etat a en effet retenu que ce type d’opération « présente un caractère récurrent et génère une part significative voire structurelle des produits financiers des clubs, fait partie du modèle économique de ces clubs et dès lors doit être regardé comme ayant un caractère habituel alors même que les transferts des joueurs n’interviendraient pas toujours au moment où les clubs pourraient en tirer le plus grand profit ».

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Par ailleurs les deux arrêts rendus apportent également une réponse intéressante quant à l’appréciation d’une baisse potentielle des droits télévisés dans le cadre d’éventuelles procédures de licenciement économique.

Même si à l’heure actuelle ces droits télévisuels apparaissent à la hausse dans le secteur du football, la Cour indique pour la première fois à notre connaissance que cette baisse potentielle des droits télévisuels n’a pas nécessairement pour effet immédiat une nécessité pour les clubs de sauvegarder leur compétitivité.

En effet, dès lors que cette baisse a vocation à toucher de la même manière l’ensemble des entreprises du secteur d’activité (en l’espèce celui du football professionnel) il pouvait être retenu qu’il ne s’en induisait pas une distorsion de compétitivité entre chacun des clubs.

La Cour estime en effet, outre le fait qu’il n’était pas possible pour l’employeur de présumer qu’il occuperait la saison suivante une place moins favorable à celle obtenue au jour des licenciements, que celui-ci ne prouvait pas davantage : « que la compétitivité des autres clubs du championnat de France de football professionnel s’en trouvait améliorée et menaçait la sienne ; aucune pièce n’étant produite de nature à démontrer que sa compétitivité est en péril vis-à-vis des autres clubs et sur le secteur d’activité de football professionnel français. »

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Enfin l’arrêt confirme, pour ce qui touche au périmètre d’appréciation des difficultés économiques et de l’obligation de reclassement, que celui-ci comporte non seulement la société gérant les activités professionnelles du club, mais doit également s’apprécier au niveau du groupe intégrant les filiales, ainsi qu’en intégrant l’association support loi 1901 gérant le secteur amateur et le centre de formation, laquelle dispose de liens structurels avec le club professionnel (article R 122-8 du Code du sport). Déjà en ce sens (CA AIX 27.01.2015 RG 2015/71 MATTEI/OGC NICE)

 

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