Derby Avocats aux Assises de Droit du Sport

Cette semaine, Me Samuel CHEVRET, Me Romuald PALAO et Me Anthony MOTTAIS ont participé aux Assises de droit du sport à Paris organisées par les éditions droitdusport.com

Cette édition avait pour thème « L’Avocat dans le Sport ».

Me Romuald PALAO faisait notamment partie du panel intervenant sur "L'avocat challenger de la régulation du sport".

 

 


La requalification à temps plein du contrat de travail d’un sportif employé en temps partiel modulé

CA Grenoble 25 juin 2019 n°17/04508

☞ Ce qu’il faut retenir:

Le contrat de travail à temps partiel d’un joueur de rugby doit être requalifié à temps plein dès lors que l’employeur ne démontre pas que le salarié pouvait prévoir son rythme de travail, quand bien même un accord sectoriel prévoit la possibilité de moduler le temps de travail des sportifs concernés.

 Pour approfondir

Un joueur de rugby a conclu un contrat de travail à durée déterminée avec un club évoluant en Fédérale 1 (troisième division nationale).

Le contrat était conclu à temps partiel à hauteur de 117 heures de travail par mois.

Son contrat a été rompu avant son terme en raison de la liquidation judiciaire du club.

Le joueur saisissait le Conseil de Prud’hommes estimant que son contrat de travail devait être requalifié à temps plein. Il sollicitait en conséquence un rappel de salaire sur la base d’un temps plein, ainsi que des dommages et intérêts pour rupture abusive du contrat de travail sur la base de son salaire réévalué.

Il se fondait notamment sur le fait que son contrat de travail ne prévoyait pas la répartition de son temps de travail sur les jours de la semaine, ce qui induisait la présomption d’un temps plein reconnue classiquement par la jurisprudence en cas de manquement au formalisme du contrat de travail à temps partiel.

Le mandataire judiciaire et l’AGS-CGEA  faisaient pour leur part référence au statut du joueur de rugby de Fédérale 1, accord sectoriel applicable, qui prévoyait la possibilité de moduler le temps de travail des joueurs, y compris pour ceux ayant conclu un contrat de travail à temps partiel, compte tenu de la spécificité du temps de travail des sportifs professionnels lequel doit s’adapter à la saisonnalité sportive.

Le Conseil de Prud’hommes a suivi cette argumentation et débouté intégralement le salarié.

Pour sa part la Cour d’Appel de Grenoble infirme cette décision et fait droit à l’intégralité des prétentions du joueur.

Après avoir rappelé les règles en matière de formalisme du contrat de travail à temps partiel, prévues par la Loi et reprises par la Convention Collective Nationale du Sport (accord collectif de branche étendu), la Cour retient que la modulation du temps de travail prévue par l’accord sectoriel ne décharge pas l’employeur d’apporter la preuve qu’il a informé le salarié de la répartition de son temps de travail.

Et ce d’autant plus que le Statut du Joueur de Fédérale 1 prévoit que si le club employeur souhaite recourir à la modulation du temps de travail, celui-ci doit transmettre au salarié en début de saison sportive un programme indicatif annuel.

Cette obligation est rarement respectée par les clubs et cet arrêt est l’occasion de rappeler que les risques encourus faute de respect de ce formalisme.

En matière sportive les requalifications de contrat à temps partiel en temps plein sont fréquentes, et la Cour de Cassation au surplus jugé, concernant un autre joueur de rugby, que la présomption de temps plein ne pouvait être renversée par la seule constatation que le joueur exerçait une autre activité professionnelle parallèle (Soc. 9 juillet 2014 n°13-16427).

Toujours en matière sportive, il a pu être jugé que les attestations d’autres joueurs sont insuffisantes à rapporter la preuve de la connaissance personnelle par un salarié de son propre emploi du temps (CA Toulouse, 27-01-2017, n° 14/02316).

De manière générale, l’activité sportive occasionne des changements d’horaires de travail fréquents en fonction des périodes de la saison sportive et du calendrier sportif (stages, période de préparation de pré-saison, période de récupération, match à domicile, match à l’extérieur etc…), mais aussi des résultats sportifs de l’équipe qui peuvent avoir pour conséquence des modifications des plannings d’entrainement.

La vigilance doit donc être de mise pour les employeurs du secteur sportif quant à la transmission de plannings écrits respectant les délais de prévenance légaux ou conventionnels, afin de permettre aux sportifs d’organiser librement leur vie personnelle pour les périodes ne correspondant pas à du temps de travail contractuel.

A noter enfin que certaines dispositions de la Convention Collective Nationale du Sport prévoyant un régime d’équivalence pour le décompte des heures de travail de nuit en cas de surveillances nocturnes ou d’accompagnements d’équipes lors de déplacements (article 5.3.5.4) doivent être maniées avec grande précaution (En ce sens Soc. 10 avril 2019 n°17-28590 refusant d’appliquer ce régime d’équivalence faute de publication en matière sportive du décret prévu par l’article L. 3121- 9 du Code du travail, dans sa rédaction antérieure à la Loi du 8 août 2016)

A rapprocher :  articles L3123-14 du Code du travail ; statut du joueur de Fédérale 1

L'Equipe Droit du Sport

Derby Avocats


Annulation de la marque européenne Adidas pour insuffisance de caractère distinctif

En application de l’article 7 du Règlement CE 207/2009 du 26 février 2009 sur la marque de l’Union européenne (remplacé depuis par le Règlement UE 2017/1001 du 14 juin 2017), une marque peut être refusée à l’enregistrement notamment pour absence de « distinctivité », pour caractère descriptif, trompeur ou encore contrariété à l’ordre public ; c’est sur le premier de ces critères que l’enregistrement européen de la marque Adidas vient d’être annulé à la demande de la société belge Shoe Branding Europe BVBA, par arrêt du Tribunal de l’Union Européenne rendu le 19 juin 2018.

La marque consistant « en trois bandes parallèles équidistantes de largeur égale, appliquées sur le produit dans n’importe quelle direction » a ainsi été jugée intrinsèquement non distinctive (1), mais la discussion portait en outre et surtout sur la possible acquisition par l’usage dudit caractère distinctif, tel qu’invoqué par la société Adidas (2).

1. Absence de caractère distinctif intrinsèque

Rappelons tout d’abord, à l’instar du jugement, que le caractère distinctif d’une marque signifie « qu’elle est apte à identifier le produit pour lequel l’enregistrement est demandé comme provenant d’une entreprise déterminée et donc à distinguer ce produit de ceux d’autres entreprises » (point 19).

Ce caractère distinctif doit être apprécié par rapport aux produits ou services pour lesquels l’enregistrement est demandé, en référence à la perception qu’en a le public concerné (CJCE du 4 mai 1999, Windsurfing Chiemsee, C 108/97 et C 109/97).

En l’espèce, le public pertinent retenu (à savoir tant le grand public que le public spécialisé) n’est pas censé, selon l’arrêt rendu, distinguer « les vêtements, les chaussures et la chapellerie » de la société Adidas simplement par référence aux trois bandes telles que déposées, dépourvues de caractère distinctif intrinsèque.

Ce premier point ne faisait au demeurant pas l’objet de réelles contestations de la part du déposant, qui concentrait plus spécifiquement son argumentation sur l’acquisition, par l’usage, dudit caractère distinctif.

2. Insuffisance de l’usage sur l’ensemble du territoire

En application des articles 7.3 et 52.2 du Règlement 207/2009, l’absence de caractère distinctif intrinsèque d’une marque n’entraîne pas sa nullité si cette dernière a acquis un caractère distinctif par l’usage qui en a été fait.

Toute la difficulté est alors de déterminer si cet usage est bien conforme au signe déposé, à défaut de quoi le titulaire ne pourra pas s’en prévaloir pour faire échapper son enregistrement à la nullité ; c’est ce que rappelle le Tribunal en introduction de ce motif, précisant « qu’il convient, au préalable, de définir la notion d’usage de la marque » (point 49), laquelle doit être interprétée comme renvoyant à une forme identique à l’enregistrement ou à des formes qui n’en diffèrent que « par des variations négligeables et qui, de ce fait, peuvent être considérées comme globalement équivalentes à ladite forme » (point 62).

En l’espèce deux écueils ont empêché la société Adidas de se prévaloir d’un tel usage :
- tout d’abord le Tribunal a refusé de tenir compte des « variantes » s’éloignant trop du signe déposé, telles que les inversions de couleurs (bandes blanches sur fond noir) ou les déclinaisons de dimensions (bandes « inclinées selon un angle qui différait de celui caractérisant la marque en cause sous sa forme enregistrée »),
- ensuite, ne retenant que les exemples considéré comme conformes au dépôt en termes de couleur et de dimension, la juridiction a estimé que l’usage invoqué n’était établi que pour quelques pays du territoire européen, de manière consécutivement insuffisante dès lors que cette preuve doit être rapportée pour l’ensemble du territoire.

***

Ce jugement du Tribunal de l’Union Européenne constitue donc un important revers judiciaire pour la société Adidas, qui dispose encore d’un recours devant la Cour de Justice de l’Union Européenne ; précisons également, pour conclure sur la portée de cette décision, qu’elle n’affecte toutefois pas les enregistrements nationaux des pays pour lesquels l’usage s'avère conforme aux dépôts, le système européen des marques demeurant autonome et indépendant des systèmes nationaux.

Julie Gringore
Juin 2019