Les fédérations sportives prendront prochainement des décisions sur la poursuite des compétitions sportives en raison de la crise sanitaire actuelle.

Quelles en seront les conséquences sur les contrats des sportifs et entraîneurs professionnels ?

Les deux hypothèses les plus fréquemment envisagées sont :

– l’arrêt de la saison sportive en cours donnant généralement lieu à l’application d’une saison blanche en termes d’accession et de relégation au niveau sportif.

– la prolongation de la saison sportive après la date du 30 juin 2020 (date la plus fréquemment prévue en France pour la fin de la saison sportive).

Nous examinerons tour à tour ces deux hypothèses ainsi que leurs conséquences sur les contrats des sportifs et entraîneurs professionnels.

 

  1. Hypothèse de l’arrêt des compétitions de manière anticipée.

Il ne s’agit pas de l’hypothèse privilégiée à ce jour par les fédérations et ligues professionnelles ( Ligue 1 Ligue 2 en Football, Top 14 et proD2 en rugby, Jeep Elite en Basket) dès lors que lorsqu’il existe dans ces sports des droits commerciaux, et notamment télévisés, importants de sorte qu’un arrêt anticipé des compétitions implique une perte de recettes très importante.

En revanche cette solution est susceptible d’être privilégiée lors de compétitions fédérales pour lesquelles il n’existe pas d’enjeu majeur en termes de droits télévisés ou de contrats commerciaux en cours, dont l’interruption anticipée serait de nature à remettre en cause l’équilibre budgétaire des acteurs.

Or des sportifs et entraîneurs professionnels, au sens de la Convention Collective Nationale du Sport, participent à ces compétitions.

Ainsi dans l’hypothèse où une fédération déciderait, par exemple, d’interrompre ses compétitions sportives à compter du 30 mars ou du 30 avril qu’adviendrait-il des contrats de travail signés par des sportifs, lesquels sont en principe conclus pour la durée d’une saison sportive se terminant le 30 juin 2020.

Notamment les clubs pourraient-ils invoquer ces décisions fédérales ou les difficultés économiques découlant de la crise sanitaire pour rompre les contrats en cours ?

S’agissant de contrats à durée déterminée l’invocation de simples difficultés économiques pour rompre le contrat est exclue en application d’une jurisprudence constante

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Quant à la force majeure si elle est prévue par l’article L 1243-1 du code du travail comme une hypothèse possible de rupture du contrat à durée déterminée son utilisation demeure par définition soumise à plusieurs incertitudes dans le cas de la crise sanitaire actuelle.

L’article 1218 du code civil, dispose désormais : « Il y a force majeure en matière contractuelle lorsqu’un événement échappant au contrôle du débiteur, qui ne pouvait être raisonnablement prévu lors de la conclusion du contrat et dont les effets ne peuvent être évités par des mesures appropriées, empêche l’exécution de son obligation par le débiteur »

En matière de droit du travail l’obligation essentielle de l’employeur outre le paiement du salaire, est de fournir un travail au salarié, et en matière sportive de permettre au sportif de participer aux compétitions pour lequel il s’est trouvé recruté.

L’arrêt du championnat sportif découlant des mesures de fermeture légale des enceintes sportives pourrait donc être invoqué comme empêchant l’employeur d’accomplir son obligation de fournir du travail.

Cependant il pourrait  être soutenu en réponse par le sportif dont le contrat serait rompu pour cause de force majeure prétendue,  que la décision d’arrêt du championnat « n’échappe pas au contrôle du débiteur ( les clubs ) » puisque ce sont eux qui constituent les fédérations sportives, et surtout les ligues professionnelles, et qu’en quelque sorte la décision de l’arrêt des championnats  ne leur serait donc pas étrangère, dès lors qu’elle se trouve prise par leurs représentants tels qu’issus des dernières élections. On notera par également sur ce point que bon nombre de présidents de clubs siègent au comité directeur des ligues professionnelles.

En réalité c’est davantage l’impossibilité d’accéder aux enceintes sportives que la décision fédérale éventuelle d’arrêter en cours de saison une compétition sportive qui pourrait être invoquée, mais tant que la Fédération concernée n’a pas pris de décision il semblerait délicat pour un club de soutenir que le fait de ne pouvoir accéder aux enceintes sportives permet de rompre un CDD en cours.

C’est ici l’autre élément de la force majeure qui semble faire défaut puisqu’il est nécessaire de démontrer « l’impossibilité d’éviter les effets liés à l’événement constitutif de force majeure par des mesures appropriées ».

Or il pourrait être considéré que l’une des mesures appropriées consiste à prolonger le championnat au-delà du 30 juin, ou encore d’avoir recours au mécanisme d’activité partielle jusqu’à l’échéance du contrat.

On le voit la rupture de contrat sportifs pour lesquels il ne reste que deux ou trois mois de salaire à régler apparaîtrait pour le moins risquée d’autant que pour les sportifs et entraîneurs (hors football et rugby professionnel qui a priori ont exclu cet arrêt anticipé des compétitions) le plafond rehaussé de l’allocation versée aux employeurs au titre de l’activité partielle (70% du revenu brut du salarié dans la limite de 4,5 SMIC) est de nature à limiter l’impact budgétaire de contrats devant se poursuivre jusqu’au 30 juin, même en cas de saison sportive interrompu de manière anticipée. Et donc par conséquent de nature à caractériser une mesure appropriée pour limiter les effets d’un événement caractéristique d’une éventuelle force majeure.

Notons également que le recours à la force majeure pour rompre le contrat de travail d’un joueur ou d’un entraîneur induirait a priori la rupture de l’ensemble des contrats de l’effectif professionnel. On comprendrait en effet mal pourquoi tel ou tel sportif aurait pu voir son contrat rompu alors que tel ou tel autre ne l’a pas été.

Enfin, il pourrait également être invoqué en cas de contentieux le fait que la participation au « match » n’est pas la seule contrepartie à la rémunération du joueur ou de l’entraîneur.

L’utilisation de son image notamment son image associée aux signes distinctifs du club en est également généralement une autre.

Or cette contrepartie ne se trouve pas empêchée par l’épidémie de Covid-19.

A ce jour, et même si par définition il n’existe pas de décision spécifique au Covid-19, la jurisprudence a pu considérer que ne constituait pas un cas de force majeure :

  • La destruction totale ou partielle de locaux d’une entreprise consécutive à un sinistre, dans le cas où la reprise de l’exploitation est possible et ce même après une longue interruption,
  • la fermeture administrative d’un établissement,
  • le ralentissement, ou même la cessation d’activité,

De la même manière les précédentes épidémies comme le Chikungunya, la Dengue, Ebola etc… n’ont pas été reconnues comme des cas de force majeure.

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A défaut de force majeure est-il possible d’avoir recours à la théorie de l’imprévision pour remettre en cause les contrats de travail en cours au regard du bouleversement économique que constitue la crise sanitaire actuelle ?

Cette hypothèse est désormais prévue par l’article 1195 du Code civil qui dispose :

« Si un changement de circonstances imprévisible lors de la conclusion du contrat rend l’exécution excessivement onéreuse pour une partie qui n’avait pas accepté d’en assumer le risque, celle-ci peut demander une renégociation du contrat à son cocontractant. Elle continue à exécuter ses obligations durant la renégociation.

En cas de refus ou d’échec de la renégociation, les parties peuvent convenir de la résolution du contrat, à la date et aux conditions qu’elles déterminent, ou demander d’un commun accord au juge de procéder à son adaptation. A défaut d’accord dans un délai raisonnable, le juge peut, à la demande d’une partie, réviser le contrat ou y mettre fin, à la date et aux conditions qu’il fixe. »

Si théoriquement cette disposition légale est susceptible de s’appliquer aux contrats de travail, les modalités de mise en œuvre de la procédure et le temps judiciaire semblent mal s’accommoder du cours laps de temps restant à courir jusqu’à la fin de la saison ou même de la saison suivante.

Dès lors il est probable que les clubs concernés préféreront sans doute négocier avec les sportifs plutôt que de se lancer dans une procédure en révision du contrat incertaine.

D’autant plus que cette procédure ne les dispense pas d’exécuter leurs obligations dans l’attente de la décision du juge, laquelle au surplus perdrait son intérêt si, au jour de la décision de justice rendue, le contrat a été résilié ou ne se trouve plus en cours.

En synthèse l’hypothèse d’une annulation de la saison sportive avec arrêt anticipé des championnats dans le cadre de compétitions  non directement dépendantes des droits commerciaux et télévisés, devrait permettre aux sportifs et entraîneurs concernés de bénéficier de l’exécution de leur contrat de travail sous réserve d’éventuelles périodes d’activité partielle.

  1. Hypothèse de la prolongation des compétitions sportives au-delà du 30 juin 2020

C’est l’hypothèse à ce jour privilégiée par les Ligues professionnelles des sports dans lesquels il existe une forte dépendance à l’égard des droits commerciaux et notamment télévisés.

En France les CDD spécifiques aux sportifs et entraîneurs professionnels sont à la fois régis par les articles L222-2 et suivants du Code du Sport et par les différentes conventions collectives applicables.

L’article L 222-2-4 du Code du Sport prévoit :

« La durée d’un contrat de travail mentionné à l’article L. 222-2-3 ne peut être inférieure à la durée d’une saison sportive fixée à douze mois.

Toutefois, un contrat conclu en cours de saison sportive peut avoir une durée inférieure à douze mois, dans les conditions définies par une convention ou un accord collectif national ou, à défaut, par le règlement de la fédération sportive ou, le cas échéant, de la ligue professionnelle :

1° Dès lors qu’il court au minimum jusqu’au terme de la saison sportive ;

2° S’il est conclu pour assurer le remplacement d’un sportif ou d’un entraîneur professionnel en cas d’absence du sportif ou de l’entraîneur ou de suspension de son contrat de travail ;

3° S’il est conclu pour assurer le remplacement d’un sportif ou d’un entraîneur faisant l’objet de l’opération mentionnée au premier alinéa de l’article L. 222-3.

Les dates de début et de fin de la saison sportive sont arrêtées par le règlement de la fédération sportive ou, le cas échéant, de la ligue professionnelle.

La durée du contrat de travail mentionné à l’article L. 222-2-3 ne peut être supérieure à cinq ans, sous réserve de l’article L. 211-5. »

La question posée est donc de savoir s’il existe un obstacle juridique à la prolongation des compétitions sportives après le 30 juin 2020, et à défaut l’impact d’une telle prolongation sur les contrats en cours

2.1 Possibilité de prolonger la saison sportive

En terme réglementaire rien ne semble s’opposer à ce qu’une fédération sportive décide au regard de  la situation actuelle que ses championnats se termineront en juillet ou août 2020 au lieu du 30 juin 2020.

Certes il existe un principe de confiance légitime entre les participants à une compétition et les organisateurs de celle-ci qui pourrait alimenter des recours tirés du  fait que la durée de saison initialement prévue dans les règlements n’ait pas été au final  respectée.

Mais le cadre exceptionnel dans lesquelles une telle décision serait prise et les considérations d’intérêt général,  qu’il s’agisse de l’aspect sanitaire,  de l’équité des compétitions sportives voire même  de l’équilibre  financier des acteurs, pourrait justifier une telle modification réglementaire.

Cependant une telle modification du calendrier sportif ne saurait, sous peine de générer plus de difficultés qu’elle n’en résoudrait, se décider sans concertation avec les instances des fédérations internationales.

En effet il incombe à ces instances au niveau mondial et européen de fixer les calendriers des compétitions (Coupe du monde, coupe d’Europe…) et les fédérations nationales doivent pouvoir en temps utile transmettre aux fédérations internationales l’identité des clubs qui, du fait de leur classement sportifs, ont gagné le droit de participer aux compétitions internationales.

Il en est de même pour les périodes de transfert qui nécessitent un minimum d’harmonisation.

La concertation va donc s’imposer d’autant plus que la fixation d’un calendrier de compétition commun au niveau européen ou mondial est susceptible de connaître des difficultés puisque l’état sanitaire respectif des pays sera différent dans le temps.

Ainsi les clubs d’un pays ayant jugulé l’épidémie accepteront-ils d’aller jouer dès la fin du mois d’août 2020 dans des pays toujours en crise, et les fédérations internationales prendront elles le risque d’organiser de telles rencontres ?

 Pour autant et à supposer l’harmonisation d’un calendrier commun établie, la simple prolongation réglementaire de la saison sportive par les fédérations nationales n’apparaît pas suffisante pour régler la situation de sportifs et entraîneurs professionnels.

2.2 Impact de la prolongation de la saison sportive sur les contrats de travail des sportifs et entraîneurs professionnels

De manière liminaire, il convient d’indiquer qu’évidemment la simple modification réglementaire de la durée de la saison sportive n’a pas d’impact direct sur les contrats de travail signés, et qu’il sera nécessaire pour les clubs de contractualiser des avenants aux contrats de travail.

Plusieurs hypothèses doivent être distinguées.

 

2.2.1 Cas du sportif ou entraîneur en fin de contrat sans engagement auprès d’un autre club à compter du 1er juillet 2020.

Dans cette hypothèse le club devra contractualiser – et en fonction des règles fédérales soumettre à l’homologation – un avenant contractuel prévoyant la prolongation du contrat à durée déterminée jusqu’à la date prévue pour la fin de la nouvelle saison sportive.

Sans la signature de cet avenant écrit l’employeur risquerait d’ailleurs la requalification du contrat en contrat de travail à durée indéterminée puisque la relation contractuelle se serait poursuivie après la fin du terme du contrat initialement prévu.

2.2.2 Cas du sportif ou entraîneur en fin de contrat au 30 juin 2020 mais disposant d’un engagement contractuel à compter du 1er juillet 2020 auprès d’un autre club.

Il peut s’agir de l’hypothèse d’un sportif qui se trouve en fin de contrat au 30 juin 2020 et qui a déjà signé une promesse d’embauche au profit d’un autre club en France ou à l’étranger à effet du 1er juillet 2020

Ou de l’hypothèse d’un sportif sous contrat avec un Club mais qui avait été prêté dans un autre club jusqu’au 30 juin 2020 et avait vocation dès le 1er juillet 2020 à retrouver son employeur initial.

En premier lieu, il ne semble pas possible à défaut d’accord du salarié de le contraindre à accepter une prolongation de son contrat initial pour achever la saison en cours. La durée du contrat pouvant apparaître comme un élément essentiel du contrat de travail à durée déterminée ne pouvant être modifiée sans l’accord du salarié.

Pour autant il est également possible qu’au regard des règles d’équité des compétitions sportives, les instances des fédérations ou Ligues professionnelles n’acceptent pas d’homologuer le contrat de travail du sportif dans son nouveau club, dans l’hypothèse où la saison précédente ne serait pas achevée.

Or la plupart des contrats des sportifs ou entraîneur professionnels comportent une condition suspensive d’entrée en vigueur liée à l’homologation par la ligue professionnelle.

En matière internationale, les mutations ne peuvent s’opérer qu’en respectant un processus strictement encadré par les fédérations internationales.

L’une des incertitudes actuelle est d’ailleurs de connaître le niveau d’intervention des fédérations internationales pour réguler la situation, puisque si une ligue professionnelle peut sans difficulté régir les relations entre ses clubs au niveau national et assurer un minimum de paix sociale en rassemblant les acteurs concernés ; elle ne dispose que de peu de pouvoir pour par exemple empêcher un joueur en fin de contrat de décider de s’engager dès le 1er juillet 2020 dans un autre club européen par exemple, sans finir le championnat Français.

Il peut donc être raisonnablement imaginé qu’en France si une décision de prolongation de la saison sportive était prise, le mécanisme d’homologation des contrats servirait de régulateur afin d’assurer la continuité entre les deux saisons sportives.

Cependant le fait de ne pas homologuer les contrats dans l’attente de la fin de la précédente saison sportive ne réglerait pas toutes les difficultés.

En effet le Code du sport prévoit que la durée des contrats est d’une durée minimale de 12 mois de sorte que si cette durée est respectée l’homologation du contrat dans le nouveau club aboutira à faire, de manière rétroactive, qu’un sportif se soit trouvé en situation de double contrat.

Sauf intervention législative remettant en cause l’obligation de signer un contrat d’une durée de 12 mois minimum, la solution pourrait être dans ce cas de régulariser deux avenants prévoyant d’une part la prolongation contractuelle dans un cas (club saison 2019/2020) et d’autre part, la suspension du contrat de travail dans le nouveau club (saison 2020/2021).

La signature de ce dernier avenant pourrait être l’occasion de clarifier les stipulations contractuelles notamment dans le futur club puisqu’il est fréquemment prévu des primes à la signature, et qu’il apparaît probable que le nouvel employeur ne sera pas forcément favorable pour régler le salaire d’ un sportif qui se trouvait employé par un autre club pour la période concernée.

2.2.3 Cas du sportif ou de l’entraîneur dont le contrat à vocation à s’achever à la fin de saison sportive 2021 ou postérieurement.

Dans l’hypothèse d’un joueur ayant signé jusqu’en 2021 ou 2022 avec une augmentation de salaire prévue à compter de juillet 2020 et le cas échéant des primes de signature devant être versées le 15 juillet 2020 par exemple, il pourrait être soutenu que le contrat suit son cours normal puisqu’il a été homologué à l’origine et que le joueur ne change pas de club.

De sorte qu’il pourrait donc normalement continuer à être payé au fil de l’évolution de son contrat sans que l’allongement de la saison précédente soit un motif pour lui faire décaler son augmentation de salaire et le versement de primes éventuelles.

Cependant ces situations devront faire l’objet d’un examen au cas par cas  et notamment du point de savoir si le contrat évoque un salaire « à compter du 1er juillet 2020 » ou à compter « de la saison sportive 2020 2021. »

Quoi qu’il en soit les discussions qui s’annoncent feront évidemment appel à la responsabilité de chacun des acteurs.

Une adaptation des conventions collectives qui prévoient souvent que les contrats s’achèvent « au 30 juin » de la saison en cours aura sans doute vocation à être envisagée, mais au-delà les organisations professionnelles représentatives auront un rôle déterminant à jouer.

L’Equipe Droit du Sport

Derby Avocats

25 mars 2020